Vous trouverez ci-dessous un document d’amorçage de la réflexion sur ce sujet. N’hésitez pas à le télécharger (liens en fin de texte) puis à me le retourner annoté, modifié ou complété sur la boîte richarddomps@gmail.com Je ferai ensuite une synthèse de ces retours, qui sera soumise à la réflexion du groupe de travail qui se sera constitué sur ce thème.

Richard Domps, animateur du thème.


David Graeber, docteur en anthropologie, économiste et professeur à la London School of Economics, a écrit un livre récent intitulé Bullshit Jobs (en français, jobs à la con) avec la dédicace suivante : « à tous ceux qui préféreraient être utiles à quelque chose ». Le propos est dérangeant mais l’analyse est parfaitement conduite et riche d’enseignements. Une de ses conclusions serait qu’il y a environ 50% de travail inutile (nota : on parle bien de travail rémunéré et non de bénévolat, lequel est d’ailleurs la plupart du temps franchement utile).

Résumé du document :

Après avoir rapidement analysé le travail dans ces deux composantes essentielles à savoir son utilité et sa rémunération, nous arriverons d’abord à la conclusion que l’on rémunère mieux les tâches non directement productives que les tâches productives.

Au sein des emplois non directement productifs, le nombre des emplois sans utilité démontrable a visiblement tendance à augmenter. Il sera difficile de les supprimer car ceux qui les exercent en tirent un avantage personnel. Ils indiqueront que la contestation provient de gens peu rémunérés donc à la fois jaloux et incompétents (puisqu’ils ne comprennent pas le bien-fondé de ces hautes rémunérations et de tous les mécanismes financiers), ce qui discréditera à double titre leur discours.

Le moyen le plus sûr pour supprimer ces tâches inutiles, qui vampirisent l’appareil productif, sera de créer un revenu universel, car cela supprimera obligation d’avoir un emploi – même inutile – pour vivre correctement. Les emplois inutiles faiblement ou moyennement rémunérés disparaîtront, ce qui asséchera le nombre de salariés à disposition des directeurs et employeurs qui génèrent ces tâches inutiles voire négatives (celles qui génèrent des tâches inutiles dans la sphère productive).

Paradoxalement, cette abolition de l’impératif absolu de travailler, libérera les énergies et permettra d’engager de vraies améliorations du cycle productif, impératif absolu pour une population croissante sur une planète aux ressources limitées.

1.2.1 qu’appelle-t-on travail ?

1.2.2 travail productif – travail improductif ?

1.2.3 modalités de rémunération

1.2.4 rémunérations et revenus

1.2.5 utilité directe de l’activité et rémunération

1.2.6 Vrai travail et faux travail

1.2.7 devenir du travail

1.2.8 la nouvelle société

1.2.1 qu’appelle-t-on travail ?

« Au sens économique usuel, le travail est l’activité rémunérée ou non qui permet la production de biens et services. Avec le capital, c’est un facteur de production de l’économie. Il est essentiellement fourni par des employés en échange d’un salaire et contribue à l’activité économique. » (Wikipédia/travail)

Deux caractéristiques principales dans cette définition :

  • production de biens et services
  • rémunération puisque, bien qu’il soit indiqué « activité rémunérée ou non », cette concession est contredite par la suite « essentiellement fourni par des employés en échange d’un salaire »

Même si la rémunération peut prendre d’autres forme qu’un salaire stricto sensu, il est rare qu’on emploie le mot travail pour des activités non rémunérées.

« Vous travaillez ? » :

  • « non, je ne travaille plus, mais je me suis engagé dans une association qui vient en aide … »
  • « non, je ne travaille plus, mais j’ai beaucoup de petits-enfants que je garde régulièrement,… »
  • « non, je ne travaille plus, mais je suis élu/engagé dans un parti/un club de réflexion… »

Toutes activités que les intéressés considéreraient comme un vrai travail, si c’était contre salaire.

1.2.2 travail productif – travail improductif ?

Dans les temps anciens, l’essentiel du travail était directement productif : agriculture principalement, plus artisanat, commerce, construction et voirie. Puis se développèrent des manufactures avec un début de rémunération à l’heure.

D’autres activités rémunérées virent le jour mais étaient encore à un stade embryonnaire, tant en nombre qu’en qualité, par exemple la médecine. Là encore c’était des services dont on voyait l’utilité réelle et qu’on pourrait donc qualifier de directement productifs.

Avec la révolution, la production industrielle se développa ainsi que le salariat ouvrier. Là encore l’essentiel du travail était directement productif. Il y a avait un peu de travail administratif mais celui-ci était adossé au travail productif et représentait une part minime des effectifs employés.

Avec l’automatisation dont on peut penser qu’elle ne devint significative que dans la seconde moitié du XXème siècle, la balance entre le travail directement productif et l’administratif au sens large bascula en faveur de ce dernier par un double mouvement :

  • baisse des effectifs de production (les ouvriers étant d’ailleurs plus des surveillants que des conducteurs de lignes de fabrication)
  • augmentation des effectifs administratifs, liée d’abord à la complexification des processus de production puis certainement à d’autres mécanismes pas encore totalement expliqués et que nous allons donc dénommer « emballement administratif »

1.2.3 modalités de rémunération

Avec la manufacture on commença à observer les phénomènes de rémunération à l’heure/journée et celle-ci se généralisa avec la révolution industrielle.

Au XXème siècle, les conquêtes sociales en faveur de la stabilisation de la rémunération ont poussé à la rémunération forfaitaire mensuelle d’abord sur des temps à peu près fixes, puis variables (annualisation du temps de travail).

1.2.4 rémunérations et revenus

Le travail productif a toujours représenté pour la plupart des êtres humains la base unique des revenus. Si on sait que sur 24 millions de Français en 1789, 20 millions étaient agriculteurs et qu’on ajoute les ouvriers, les artisans, les commerçants,…, on doit largement dépasser les 90 % de la population française.

Avec les lois sociales de la seconde moitié du XXème siècle, on a commencé à rémunérer les salariés même quand ils ne travaillent pas, que ce soit sous forme d’indemnités maladies ou chômage.

Mais notre inconscient collectif (on pourrait presque dire notre cerveau reptilien) a tellement intégré cette très forte corrélation entre travail, rémunérations et revenus, qu’on voit même l’éventualité de retours-arrières (augmentation du temps de travail, baisse des indemnité chômage,…) par survalorisation du travail, fusse-t-il inutile voire carrément nuisible.

1.2.5 utilité directe de l’activité et rémunération

Autant l’association mentale entre travail et revenus est forte, autant l’association mentale entre travail et production réelle se distend.

1.2.5.1 rémunérations faibles et moyennes

Les ouvriers de fabrication (et d’entretien) ont encore une situation correcte du fait de la technicité de leur métier et surtout qu’ils conduisent, surveillent et maintiennent en l’état un capital industriel significatif.

D’autres catégories ont des rémunérations très faibles en regard de leur charge de travail, de sa pénibilité et même de sa dangerosité : d’abord les agriculteurs avec les produits phytosanitaires, ensuite les ouvriers de nettoyage-entretien avec la pénibilité physique et les horaires fractionnés.

Évoquons également les personnels soignants, les policiers, les enseignants, dont les salaires n’ont rien d’excessif en regard de la charge mentale et physique.

Comme vous le noterez, on peut déjà dégager une première équation :

activité directement utile = activité (relativement) peu rémunérée

1.2.5.2 rémunérations élevées

Du côté des rémunérations élevées, on pourrait classer en deux catégories :

  • les « talents » parmi les entrepreneurs, médecins, artistes, sportifs (attention dire que les talents bien rémunérés se trouvent parmi eux, ne veut absolument pas dire que tous ces professionnels gagnent bien leur vie ; il y en a même beaucoup qui « tirent le diable par la queue »)
  • les « bien-placés » : traders, notaires, administrateurs judiciaires, avocats d’affaire et auditeurs, dirigeants d’entreprise moyenne ou grande, hauts fonctionnaires, directeurs d’organismes publics, parapublics, ONG,… autrement dit ceux qui ont su trouver « la bonne gâche » grâce à leurs « ascendants » (parents, relations professionnelles ou extra-professionnelles).

On ne prétendra nullement que les bien-placés n’ont aucun talent ; au contraire, le pourcentage est peut-être supérieur à celui des autres professions. En revanche, on peut constater que même les moins capables touchent des rémunérations très supérieures aux très bons professionnels de la catégorie des travailleurs directement productifs.

Et que constate-t-on ? Que toutes ces professions ne sont pas dans la sphère directement productive.

Si on met de côté la catégorie des « talents », on peut donc dégager une deuxième équation :

activité (très) bien rémunérée = activement non directement productive

Remarque sur ce chapitre : le rédacteur a écrit ces lignes au vu de ses propres observations et intuitions. Il serait donc très utile que plusieurs experts du domaine des rémunérations puisse enrichir le débat par des statistiques objectives et croisées

1.2.6 Vrai travail et faux travail

Il semble donc patent que la nature du travail est de plus en plus immatérielle et même probablement improductive. La question qui vient immédiatement est : est-ce vraiment du travail ?

C’est très difficile à l’établir et pour deux raisons :

  • d’une part il est rémunéré et la doxa libérale veut faire croire qu’une rémunération est la contrepartie d’une utilité réelle,
  • d’autre part, ceux qui pourraient démontrer cette inutilité font partie de la classe dirigeante et sont forcément influencés par leur idéologie de classe qui affirme que le plus noble est le travail intellectuel que c’est lui seul moteur de progrès et de développement de l’efficacité et qu’il doit donc être mieux rémunéré.

Quel « traître » à ses origines sociales ou nouvel arrivant dans la classe des privilégiés (quand on est invité, il est poli de ne pas dénigrer) osera dire comme l’enfant du conte, que le roi est nu ? Il en existe mais leur voix est minoritaire et notre présupposé démocratique en faveur du plus grand nombre nous fait porter peu de considérations aux opinions minoritaires.

Il est donc certain qu’il sera très difficile d’établir qu’une grande part de ce que nous nommons travail n’est pas une nouvelle forme de travail mais simplement une occupation sans utilité et cependant mieux rémunérée que le vrai travail. Et encore plus d’être entendus et compris.

D’autant plus que l’utilité d’une production se mesure par sa valeur monétaire et qu’il sera difficile d’expliquer qu’une simple production de valeur monétaire n’implique pas production d’une valeur réelle :

l’effort est réel (les traders ont de lourdes journées et de plus stressantes), mais le résultat final ne l’est pas (on ne produit pas plus ou mieux après arbitrage d’un instrument financier contre un autre).

L’exemple ci-dessus vaut pour d’autres productions immatérielles : toutes les procédures qui se sont sur-ajoutées sans aucune analyse des avantages concrets, impliquent bien du temps et des efforts humains parfois qualifié, mais le monde tournerait-il plus mal sans ? Aucune étude sérieuse et objective n’a jamais prouvé que la croissance exponentielle des tâches et procédures avaient amélioré la production. et ceux qui les défendent, n’arrivent à les légitimer que en regard d’autres obligations abstraites dont on peinera à deviner l’utilité réelle.

Qui niera que le bridge est difficile, qu’il nécessite de longues années d’étude et de pratique, plus un talent particulier ? Pourtant personne, sauf un bridgeur, ne sera convaincu de la valeur réelle d’une prestation.

En temps que vrais libéraux, nous nous devons de lutter contre ces rentes de situation, même si elles prennent l’apparence de l’utilité réelle via des abstractions monétaires justifiées par ceux qui en vivent (ou ceux qui ont intérêt à maintenir ce système d’illusions, en percevant eux-mêmes bénéfice).

Mais ce sera très difficile, car ceux qui en vivent tomberaient dans la misère si les emplois inutiles disparaissaient. Une condition nécessaire (mais malheureusement pas suffisante) pour supprimer toutes les tâches et activités inutiles serait donc l’instauration d’un revenu universel qui garantirait à tous des revenus corrects même en l’absence d’emploi.

Même avec un système de revenu universel, on ne convaincra pas ceux qui ont des emplois inutiles très bien rémunérés, car ils n’ont certainement pas envie de rejoindre la masse des gens normalement rémunérés. Mais ils peineront à trouver des exécutants car ceux-ci accepteront de moins en moins d’être peu rémunérés pour des tâches dont ils saisissent l’inutilité (cf. livre de David Graeber) : et si, pour faire accepter ces tâches inutiles à leurs salariés, ils devaient décaisser des rémunérations à hauteur des leurs, le modèle s’écroulerait financièrement.

Au final, on peut penser que la façon la plus sûre de faire disparaître le travail inutile est de créer un revenu universel qui asséchera cette inflation d’inutilités.

1.2.7 devenir du travail

Si les tâches directement productives sont de plus en plus automatisées et si le travail inutile est voué à disparaître, ne serait-ce pas tout simplement la fin du travail ?

Oui et non.

Oui au sens qu’on arrive peut-être aux confins de l’Utopie, à savoir qu’on pourrait enfin vivre sans asservissement, tous les biens utiles à l’humanité étant produits par des robots.

Non au sens que le monde ne sera jamais figé et que, même si cela ira de mieux en mieux sous l’angle de la productivité, d’autres faits peuvent survenir et nécessiter de réfléchir, inventer, réformer,… toutes tâches non automatisables.

Des exemples ? Le changement climatique, la pollution des sols et des corps par des intrants dont on découvre la nocivité, les séparatismes sociétaux et la crise de la démocratie. Tout ceci va nécessiter qu’on se fatigue les cerveaux, les cœurs et, certainement un peu, les bras et les jambes et donc qu’on travaille, au sens d’activité réellement utile.

Mais ce travail réel – qui continuera donc à exister – doit-il avoir pour contrepartie un salaire payé par une entreprise privée ou une administration ? Vu que le revenu universel d’existence assurerait déjà un bon niveau de vie, la rémunération pourrait être négligeable, plutôt un moyen de reconnaissance de l’investissement personnel du salarié dans les responsabilités qui lui ont été confiées.

Cette faible rémunération serait même une rémunération nulle tant que le porteur du projet ou de l’idée n’aurait pas trouvé les financements. Pas grave, puisque de toute façon le revenu universel d’existence lui permet de vivre tout à fait correctement, lui et sa famille. Si son idée se transforme en projet (ou en œuvre) et que celui-ci est efficace (ou appréciée), il en tirera alors des bénéfices personnels importants.

Nous ne prévoyons pas la disparition des riches, mais celle des pauvres ! (pas par élimination, mais par promotion à la classe moyenne).

Et il y aura toujours des incitatifs au progrès, contrairement à l’opinion ancestrale seule la nécessité est créatrice de valeur. Maslow a prouvé le contraire, quand il a développé sa théorie de la pyramide des motivations.

1.2.8 la nouvelle société

Au lieu de l’évolution actuelle où les écarts de revenus se remettent à croître essentiellement par renchérissement des plus riches et disparition progressive des classes moyennes (nous ne pensons pas que que cela provienne d’un appauvrissement des plus pauvres, mais cela mériterait d’être confirmé par une étude), notre perspectives serait plutôt :

  • une vaste classe moyenne qui pourrait vivre tout à fait correctement
  • quelques riches voire très riches, mais qui le sont devenus du fait de leur travail soit qu’il permette de produire bien mieux, soit qu’il produise des œuvres appréciées (artistiques, littéraires, scientifiques,…)

Le travail se répartirait en

  • activités à caractère social (aide aux détresses, soutien aux jeunes, vieux, malades et handicapés, démocratie locale et nationale)
  • activités de surveillance et maintenance des processus productifs
  • activités de recherche et développement afin produire mieux et plus, tout en consommant moins de ressources naturelles

Les premières comme les secondes seraient bénévoles ou plus ou moins rémunérées (en fonction de la demande et donc de la pénibilité et des contraintes) ; les troisièmes seraient plutôt bénévoles du côté des entrepreneurs (lesquels se rémunéreraient ensuite plus ou moins fortement en fonction des résultats de l’entreprise) et plus ou moins rémunérés du côté des assistants (en fonction de l’offre et de la demande).

« Alors plus personne ne va travailler puisque on peut vivre très correctement sans ». Pas vraiment car il est assez certain que la plupart des gens chercheront à se rendre utile et effectueront des activités même bénévoles plutôt que passer leur journée à regarder leur écran (télévision ou ordinateur).

Simplement les tâches pénibles qui persisteront, seront certainement bien rémunérées (loi de l’offre et de la demande) et, de ce fait, des inventeurs trouveront le moyen de les supprimer puisque cette invention leur permettra une forte rémunération.

On aboutira donc à une société bien plus dynamique dans le sens du progrès réel, d’autant plus que tous ceux qui bloquaient les évolutions (disons même, vampirisaient l’appareil productif) resteront chez eux jusqu’à ce qu’ils inventent des procédés réellement utiles. Tous ceux qui seront inaptes au travail productif bénéficieront au moins d’un revenu décent, ce qui est satisfaisant tant sous l’angle humain (pourquoi n’auraient-ils pas droit à une vie agréable ?) que social (pourquoi sacrifier du temps de certains pour faire plaisir à leurs lubies improductives ?).

Il restera aussi des activités franchement inutiles (mais combien agréables pour les amateurs), comme le bridge, la musique, la peinture,…, lesquelles ne rémunéreront que leurs artistes les plus talentueux.

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