Pendant des siècles, le travail fut essentiellement lié à la force humaine et quelques énergies rudimentaires : une grande part était du domaine primaire (agriculture, élevage, chasse, pêche) avec un tout petit peu de secondaire (artisanat essentiellement).

Avec la révolution industrielle ce fut le secondaire qui prit le pas avec les grandes industries. Le travail se déporta en conséquence.

Depuis la moitié du XXème siècle, le tertiaire (les services) monta à son tour en puissance. Il s’agissait essentiellement de rationaliser la production et d’augmenter la productivité des facteurs. Le fait est que la productivité a alors fortement augmenté pendant la période dite « des 30 glorieuses » (grosso modo de 1945 à 1975).

Ce mouvement de productivité croissante du travail  s’est poursuivi depuis 1975 avec les technologies de l’information, mais, selon certains, le rythme de croissance de la productivité baisse constamment.

Cela pourrait sous-entendre que le progrès technique diminue, mais on ne peut pas écarter une autre hypothèse : les salariés s’activent mais leur activité est peu utile, ce qui fait ainsi baisser la productivité du travail.

Pour avoir travaillé en entreprise (plus de 40 ans), nous pouvons témoigner avoir passé bien plus de temps en réunions improductives, qu’en temps de travail réel et constructif.

Et encore étions-nous dans l’économie réelle. Mais comment analyser la productivité réelle de métiers totalement abstraits, tels que le trading des instruments financiers ? Constatons également la prolifération de règlements administratifs et comptables, toujours plus contradictoires et abscons, au point même que la sphère administrative au sens le plus large (en incluant toutes les autorités de contrôle privées ou publiques, ainsi que les services administratifs des entreprises) est dans l’incapacité de les appliquer intelligemment.

Pour avoir une vraie idée de la productivité réelle du travail, il faudrait donc décompter le non-travail rémunéré, c’est-à-dire toutes les activités inutiles, et même nuisibles quand elles induisent des tâches improductives à réaliser par d’autres professionnels. Je décide une procédure inutile ou une réunion sans intérêt : cela coûte non seulement mon salaire, mais plus encore les salaires correspondant à tout le temps perdu par les autres.

Mais qui saura monter un outil de mesure fiable de l’improductivité ?

C’est pourtant essentiel si on veut évaluer la quantité de travail réel dont on aura besoin dans 20, voire 50 ans.

David Graeber, docteur en anthropologie, économiste et professeur à la London School of Economics, a écrit un livre récent intitulé Bullshit Jobs (en français, jobs à la con) avec la dédicace suivante : « à tous ceux qui préféreraient être utiles à quelque chose ». Le propos est dérangeant mais l’analyse est parfaitement conduite et riche d’enseignements. Une de ses conclusions serait qu’il y a environ 50% de travail inutile (nota : on parle bien de travail rémunéré et non de bénévolat, lequel est d’ailleurs la plupart du temps franchement utile).

Trouverons-nous d’autres livres ou articles sérieux nous éclairant sur l’évolution de la nature et de la productivité réelle du travail ?

Si personne ne conteste formellement l’analyse de Graeber (du moins, nous n’avons pas trouvé d’analyse construite) du fait de son orientation politique plutôt anarchisante, on pourrait aborder le thème avec deux volets, l’un qu’on appellerait « Graeber » pour signifier qu’on se réfère à l’analyse de son livre « bullshit jobs », l’autre qu’on qualifiera de « non-Graeber »  en attendant qu’on ait trouvé un autre qualificatif. Dans chaque volet, on expliquera quels sont les points essentiels de désaccord avec la thèse alternative.

>>  Volet « Graeber » – Animé par Richard Domps

>>  Volet « non-Graeber »  – Animé par Hervé Gouezel