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Thème 1.4 : Peut-on et doit-on agir ? Comment ? (volet universaliste)
THÉMATIQUE 1 : TRAVAIL – PRODUCTION – REVENUS
Vous trouverez ci-dessous un document d’amorçage de la réflexion sur ce sujet. N’hésitez pas à le télécharger (liens en fin de texte) puis à me le retourner annoté, modifié ou complété sur la boîte richarddomps@gmail.com Je ferai ensuite une synthèse de ces retours, qui sera soumise à la réflexion du groupe de travail qui se sera constitué sur ce thème.
Richard Domps, animateur du thème.
Plan du document
1.4.1 Doit-on agir ?
1.4.2 Quels apports attendre d’une action publique ?
1.4.3 Agir mais comment ?
1.4.4 Première piste de solution : le revenu universel
1.4.5 Revenu universel : l’échec finlandais
1.4.6 Revenu universel : les prémices du succès
1.4.7 Revenu universel : alors comment faire ?
1.4.8 Revenu universel : à qui appliquer ?
1.4.9 Revenu universel : et les autres difficultés à résoudre
1.4.1 Doit-on agir ?
Comme indiqué dans la note de cadrage de ce thème, notre conception du libéralisme n’est pas le « laisser-faire, laisser-aller » que pourraient prôner des ultralibéraux tout attachés à des dogmes qui n’ont jamais été prouvés par l’Histoire, au contraire.
Pour justifier très concrètement notre position, nous nous en tiendrons simplement à quelques enseignements du livre de David Graeber (« bullshit jobs ») que nous évoquons dans la note de cadrage du thème 2.2 (Nature du travail).
Il y est dit très précisément que la quantité qu’il a mesurée, de 50% de travail inutile (donc autant que le travail utile), s’applique non seulement à la sphère publique, mais aussi à la sphère privée.
Or la théorie libérale, quand elle est mal comprise et interprétée, prétend parfois que tout s’optimise automatiquement et donc qu’il ne devrait pas exister de tâches inutiles, puisque celles-ci représentent un coût sans aucun avantage associé.
Ceci est affirmé avec un peu plus de discernement et les vrais théoriciens reconnaissent généralement qu’il y a des exceptions. En effet, en phase ascendante d’une innovation, quand la concurrence est encore imparfaite par manque de compétiteurs : les processus ne sont pas encore optimisés, parce que les entreprises sont alors plus soucieuses d’arriver à satisfaire la demande, vu la marge importante tirée de chaque vente additionnelle, que d’optimiser le processus pour améliorer le pourcentage de marge de chaque vente.
Ils affirment en revanche que c’est quand le marché devient mature, que s’enclenche, par la voie de la compétition entre entreprises alors nombreuses, la démarche de réduction des coûts et que les tâches inutiles disparaissent d’elles-mêmes par élimination des entreprises qui ne savent pas optimiser les processus (et ont donc des coûts de vente plus importants). Et donc qu’en rythme de croisière, le système de production conduit à un optimum de production et à des prix les plus bas possibles en fonction du progrès technique général de la société.
Les vrais économistes, nous parlons de ceux qui ne sont pas aveuglés par un dogmatisme qui leur cache les réalités objectives, notent cependant que même, pour des productions matures, cet effet optimisation ne s’enclenche pas obligatoirement ou du moins ne va pas jusqu’au bout de ce qui serait possible. Cela peut provenir
– de l’effet marque (payer cher prouve un statut social)
– de l’effet monopole (quand nous avons détruit la concurrence, nous pouvons augmenter les prix et l’optimisation des processus est mineure vu le « coût d’entrée sur le marché » pour des nouveaux-venus
– de…
Mais le phénomène de non-optimisation des coûts de production semble bien plus général que la théorie, même assortie des exceptions ci-dessus, le laisse croire. En effet les évaluations, qui semblent scientifiques, de David Graeber indiquent qu’il y aurait 50% de travail inutile, ce qui n’est pas rien si on considère que la très grande majorité des productions de biens et services n’en est plus au stade de l’innovation mais plutôt en pleine maturité de développement.
Où se trouve l’erreur de logique ? A ce stade d’avancement des réflexions on ne peut que envisager des pistes, mais qui restent à investiguer scientifiquement :
– David Graeber aurait-il surestimé le volume de tâches inutiles ?
– y aurait-il tant de marchés en développement où les processus d’optimisation ne se sont pas encore mis en branle ? (le produit serait lui-même mature, mais il y aurait des petits « plus-qualité » qui généreraient un multiplicité de produits distincts et donc « innovants »)
– au contraire, comme prévu par certains, marxistes et non-marxistes, la concurrence aurait-elle fait disparaître les entreprises les moins performantes et, restées en situation monopolistiques, les quelques survivantes auraient-elles le « pouvoir de marché » d’imposer les prix qu’elle souhaitent ? Elles n’auraient, alors, aucun intérêt à risquer des désordres internes, liés à tout processus d’optimisation, et préféreraient faire « payer au consommateur » la tranquillité sociale.
Toutes ces hypothèse sont plausibles et peut-être d’autres encore. Ce qui démontre la nécessité d’approfondir ces sujets, au risque sinon d’avancer des idées fausses.
Dans l’attente de ces études complémentaires et du consensus scientifique sur ces questions (via des calculs économétriques fiables et nombreux pour vérifier la réalité des théories proposées), on ne peut que travailler à partir d’hypothèses réelles sans trop en connaître encore la raison.
Et la réalité en la matière, sauf à démonter que David Graeber s’est trompé dans ses calculs, rejoint une expérience personnelle assez commune, du moins dans les sociétés dites avancées : il y a de plus en plus de tâches qui apparaissent – et sont certainement – inutiles, y compris dans les entreprises privées. Intellectuellement, tout nous indique que cela ne devrait pas être, et cela nous semble même impensable vu que notre cerveau est imprégné par ces idées de l’optimisation automatique depuis notre jeunesse (donc des décennies pour la plupart d’entre nous).
Afin de se garder de cette fausse impression, on pourra citer par les nombreuses études économiques récentes qui indiquent que la productivité croît de moins en moins fortement.
Et si on se demande qu’elle est la rupture historique qui pourrait expliquer objectivement cette « croissance déclinante » de la productivité, on en arrive tout logiquement à penser que ce n’est pas la productivité technique qui se serait soudain amoindrie (pourquoi une rupture dans la continuité historique du progrès technique ?), mais bien plutôt que celle-ci est vampirisée par le poids croissant de l’administration (privée comme publique).
Pour conclure, de même que des planètes ont pu être « découvertes » par le calcul et la logique avant d’être réellement confirmées par l’observation, on peut de prime abord considérer comme vrai le fait qu’il y a de plus en plus de tâches inutiles, voire nuisibles, même si la complète démonstration n’est pas encore acquise. Des travaux complémentaires objectifs, étayés par des faits mesurés (pas seulement des idées théoriques), seraient les bienvenus, ne serait-ce que pour valider, infléchir voire invalider, les travaux de David Graeber.
Sous l’angle d’une théorie libérale réaliste et concrète, à la question « la puissance publique doit-elle orienter ou non les mécanismes de marché ? », la réponse est très clairement oui. Car sinon c’est laisser une idéologie infondée (celle d’une concurrence automatique parfaite qui maximiserait les processus de production) dominer la société, avec les inconvénients que nous verrons ci-dessous.
1.4.2 Quels apports attendre d’une action publique ?
Affirmer qu’il est légitime d’agir d’un point de vue théorique, n’entraîne pas qu’il soit utile de le faire. Agir pourquoi ? Avec quels bénéfices escomptés ? Dit encore plus simplement, pourquoi réduire les tâches inutiles si ça fait plaisir à tout le monde et que ce n’est pas négatif. En effet, en libéral conséquent, on doit s’interdire de réglementer, contraindre, interdire, si cela n’a aucune utilité : il serait paradoxal qu’on crée des tâches inutiles pour supprimer d’autres tâches moins inutiles !
Il nous font donc bien réfléchir pourquoi il est utile de lutter contre la prolifération des tâches inutiles. La conclusion sera que c’est profitable, mais les raisons ne sont pas évidentes et méritent d’être étudiées.
En faveur d’un réponse négative à la question de l’utilité de réduire les tâches improductives, figure notamment le fait tout simple et pourtant régulièrement oublié : toute dépense d’un acteur est le revenu d’un ou plusieurs autres et ce pour un montant strictement égal.
Le principe de Lavoisier « rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature, et l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération ; (…) et qu’il n’y a que des changements, des modifications. » a été échafaudé dans le domaine de la chimie. Il est également vrai dans le domaine monétaire et financier. C’est logique, mathématique, incontournable, vérifiable, scientifique,… ou tout autre terme qui, pour vous, signifie la certitude absolue.
La réduction de la dépense (publique et privée) sera donc totalement inefficace car elle réduira les recettes publiques (impôts en retour) et privées (revenus des acteurs) et, au global, tout restera constant, rigoureusement constant. Et même – cela a été maintes fois prouvés – l’effet multiplicateur conduira à un niveau de production-consommation moindre et donc à un appauvrissement.
Pour autant, contredire le dogme de la réduction forcenée de la dépense publique, ne doit pas conduire à affirmer qu’il suffit de dépenser plus pour accroître la richesse, comme le penseraient les keynésiens à courte vue. Mais le raisonnement est plus subtil que les raccourcis moqueurs des anti-keynésiens.
Pour que l’accroissement de revenus ne se traduise pas en hausse des prix, il faut qu’existe une capacité à produire plus. C’est d’ailleurs pour cette raison que les expériences « hyper-keynésiennes » du passé ont échoué, parce que la machine productive tournait déjà à plein rendement et que le pouvoir d’achat supplémentaire ne se traduisait que par une hausse des prix (et même l’hyper-inflation dans les cas les plus graves).
Ce risque d’hyper-inflation existe bien moins dans nos sociétés occidentales actuelles, car il y a visiblement des capacités de production inemployées. Ceci pourrait d’ailleurs expliquer quelques-uns des constats suivants :
– même en créant des masses considérables de monnaie après la crise de 2008 (les USA et le Royaume-Uni dès le départ, la banque centrale européenne avec 3-4 ans de retard), l’inflation ne se manifeste plus et apparaît même définitivement jugulée, même si quelques « experts » financiers se créent de très bons revenus personnels, simplement en racontant des histoires d’inflation tapie et prête à rebondir à tout instant
– des tâches inutiles peuvent se générer sans bruit (cf. les constats personnels de tout un chacun, étayés par les travaux de David Gaeber et peut-être d’autres que nous ne connaissons pas) et connaître, elles, une réelle inflation, sans que cela gêne quiconque (elle est là l’inflation réelle)
– on mesure des gains réels de productivité bien inférieurs à l’accroissement de la productivité technique (et donc du potentiel de croissance)
Le risque ne semble donc pas être du côté de la capacité technique et mécanique de production, mais plutôt du gaspillage de ressources que cela entraîne.
A l’appui de cette idée, on peut noter que la plus forte vague d’inflation récente eut lieu à partir de 1973, avec la hausse des prix du pétrole. Certes la cause n’était pas à chercher du côté de ressources qui se seraient épuisées soudainement, mais de décisions purement politiques. Mais si cela était provenu du fait de ressources insuffisantes, ce regain d’inflation aurait également pu se produire, plus lentement et donc de façon moins prononcée (pas certain parce que les marchés, plus souvent amplificateurs des anticipations que stabilisateurs, pourraient renforcer l’inflation des prix).
Dans le monde actuel, il semble de plus en plus certain que les ressources naturelles (matière premières, énergies,…) devront être consommées à un rythme moindre, alors même que la population continuera à croître. Si les démographes prévoient une stabilisation puis une diminution de la population, celles-ci n’interviendront certainement pas avant 50-100 ans.
Or, comment satisfaire plus de population avec des ressources constantes voire décroissantes ? Précisément en retrouvant le chemin de l’accroissement de l’efficacité du processus productif, en diminuant les gaspillages et, au premier chef, toutes les tâches inutiles qui finissent, tôt ou tard, par accroître la consommation de matières et énergies par unité produite.
Le risque inflationniste proviendra plus certainement de la disponibilité des matières premières et énergies, que des capacités techniques de production. Il y a donc une réelle utilité à réduire les consommations de biens primaires pour une même production utile : cela implique notamment de cesser les tâches inutiles qui, outre le temps des hommes, gaspillent les ressources naturelles
1.4.3 Agir mais comment ?
On rentre maintenant dans le très complexe et donc dans le politique, au sens noble du terme : cela ne pourra advenir sans une conviction profonde puis un engagement réel du plus grand nombre. Car les mesures contraignantes, et plus encore les mesures dictatoriales, sont totalement inefficaces, en plus d’être inhumaines et dangereuses.
D’abord il faut convaincre que l’action rapide par la force, la contrainte ou la réforme radicale, n’a jamais été bénéfique, ni même productive d’effet à long terme.
Notre démocratie elle-même doit plus à l’évolution de long terme de la pensée française qu’aux sauts révolutionnaires successifs qui se sont tous ensuivis de régressions réactionnaires tout aussi violentes (souvent plus), lesquelles annulaient la majeure partie des avancées antérieures.
On peut le regretter mais c’est bien ainsi que le progrès démocratique s’est installé : très très lentement.
Si donc nous voulons améliorer réellement, réformer de façon positive, nous sommes contraints de penser que ce sera lent et progressif et que nous n’en verrons certainement pas les résultats. Mais il vaut mieux avancer lentement mais constamment que de vouloir aller trop vite et de provoquer des retours en arrière, comme cela fut souvent le cas dans le passé.
1.4.4 Une piste de solution : le revenu universel
A vrai dire, on ne pense pas que c’est « une » piste, mais la seule, à moins qu’on nous en propose une autre, tout aussi logique et cohérente. Néanmoins nous gardons ce titre afin de ne pas fermer la réflexion.
Le revenu universel devrait s’imposer, même si c’est certainement à un horizon assez lointain.
La productivité technique par heure travaillée est en constante croissance, du fait de la robotisation de la production. Quand on analyse les courbes on s’aperçoit que le temps de travail moyen est en constante diminution (il est à peu près égal dans tous les pays d’Europe quelles que soient les durées légales de travail). On s’aperçoit également que la consommation moyenne par habitant s’accroît significativement, même s’il reste encore des îlots de pauvreté monétaire.
Comme il n’y a aucune raison de penser que ces tendances, qui sont des tendances de très long terme, pourraient s’inverser, on en arrive à la conclusion toute simple qu’on consommera de plus en plus tout en travaillant de moins en moins.
Un petit mot sur le « de plus en plus » : il vaudrait mieux dire « de mieux en mieux » car le but n’est pas le volume mais le plaisir, la qualité. La mesure de la production étant monétaire et seulement monétaire, on peut consommer plus monétairement tout en consommant moins quantitativement. Ce qui concilie d’ailleurs la croissance et l’écologie.
On notera que les évaluations de David Graeber, qui rappelle d’ailleurs les mêmes prévisions faites au milieu du XXème siècle par Keynes, situent le travail effectif moyen actuellement autour de 15-20 heures seulement pour un niveau de production et de consommation bien plus élevé que celui qu’il était à la fin des années 50. Pourquoi se référer à la fin des années 50 ? Parce que c’est certainement vers cette époque qu’on doit avoir effacé l’effet-destruction des deux guerres mondiales et la grande crise économique des années 30, et repris la tendance longue qui démarre avec la révolution industrielle du XIXème siècle.
Et comme il n’y a aucune raison de penser que ce mouvement de gain de productivité technique devrait s’arrêter, il est tout-à-fait logique de penser que la quantité de travail nécessaire par humain sera inférieure à 10 heures par semaine dans quelques décennies, sauf à continuer l’inflation du travail inutile et nuisible (voir thème 1.1)
Comme nous l’avons anticipé dans le thème 1.2, le travail de production utile sera de moins en moins important en termes de durée, mais il sera de plus en plus créatif et s’apparentera surtout à de la recherche-développement. Sur un autre bord, subsisteront dans la rubrique travail utile les services avec une part grandissante consacré aux soins, vu le vieillissement de la population.
Supposons qu’on attribue une revenu universel suffisant à tout être humain, et qu’il soit suffisant pour vivre correctement, disons de l’ordre de 1500€ à 2000€/mois/adulte. A quoi aboutirait-on :
– tous ceux qui ont un emploi inutile et nuisible et qui, selon David Graeber, vivent très mal l’inutilité de leur tâches rémunérées – et ce, de façon parfaitement consciente -, arrêteraient de travailler puisqu’un revenu correct leur permettrait d’éviter cette souffrance au travail,
– les entreprises ne trouveraient plus de salariés pour effectuer ces tâches inutiles ou nuisibles, ou du moins elles devraient les payer tellement cher qu’elles finiraient par prendre conscience de cette double inutilité, payer très cher pour du très improductif
– le temps que les gens libéreraient pourraient s’employer à diverses tâches bien plus utiles, soit des tâches sociales d’assistance et de soutien à des gens qui en ont besoin (enfants, personnes très âgées ou lourdement handicapées,…) ou bien à des tâches réellement productives d’optimisation des processus technique de production des biens et services.
Ainsi non seulement on supprimerait les gaspillages de ressources naturelles employées dans des tâches inutiles ou nuisibles, mais en plus on augmenterait continûment l’efficacité technique de l’appareil productif et pourrait continuer à consommer plus (mieux, en fait) tout en travaillant encore moins.
Nous connaissons à ce stade l’objection : si les gens peuvent être payés à ne rien faire, alors plus personne ne travaillera.
C’est vrai et faux à la fois. Si cela veut dire que tous les boulots inutiles et nuisibles ne trouveront plus preneurs, cela tombe bien parce que c’est précisément ce qu’on vise, supprimer les boulots inutiles. Et cela se fera sans drame ou révolution, puisqu’on n’aura même pas à décider de mesures contraignantes et impopulaires pour les supprimer. Ils disparaîtront d’eux-même, en douceur ; ils s’évanouiront sans bruit.
A contrario, imaginez qu’un ouvrier, un technicien, un ingénieur voyant fonctionner un processus de production qu’il connaît bien, aura idée qu’on pourrait produire mieux, plus vite et en consommant moins, que fera-t-il ? Il se taira en se disant que ce n’est pas son problème et que de toute façon il serait bien mieux à rester chez lui devant des séries télévisées ?
Pas certain ! Soit il développera son idée à l’intérieur de son entreprise, celle-ci le récompensant pour son apport, soit il fondera une entreprise qui, tout en l’enrichissant financièrement, prendra le pas sur les entreprises existantes.
Ainsi soit les entreprises continueront à progresser (d’où l’importance pour elles de supprimer les tâches inutiles), soit elle seront concurrencées par de nouvelles entreprises plus performantes et finiront par disparaître. Mais le progrès technique et l’efficacité productive continueront à s’accroître d’une façon ou d’une autre. Et toujours sans heurts ni drames.
Le travail inutile disparaîtra, ainsi que les procédés inefficaces et dans la foulée pas mal de gaspillages tout aussi inutiles. Le travail utile persistera, soit sous la forme de travaux d’amélioration de l’efficacité productive, soit sous la forme de services interpersonnels (gratuits ou peu rémunérés, ce n’est pas un problème puisqu’il y aura le revenu universel).
La poursuite de cette involution positive des processus productifs permettra d’augmenter ce revenu universel pour aboutir à cette société d’abondance (qualitative plus que quantitative) dont rêve l’humanité depuis la nuit des temps.
Il ne reste plus qu’à expliquer comment adviendront toutes ces merveilles.
1.4.5 Revenu universel : l’échec finlandais
Si l’idée évoquée au paragraphe précédent apparaît totalement irréaliste, ce n’est pas par défaut de cohérence interne (si, si, tout se tient parfaitement) mais simplement parce qu’on ne voit pas comment y arriver.
C’est aussi parce que les quelques expérimentations qui ont été réalisées ne sont pas apparu concluantes.
L’expérimentation la plus significative a eu lieu en Finlande et vient d’être abandonnée.
Pourquoi ? Parce que le projet était à la fois trop et pas assez ambitieux :
– pas assez ambitieux car il concernait un domaine trop limité et surtout sans aucune transformation du contexte économique et des mentalités,
– trop ambitieux parce que mis en place d’un coup sans la progressivité qui aurait pu le rendre acceptable financièrement tout en permettant au temps de produire ses effets sur les mentalités et l’économie globale.
Pour résumer, trop peu, trop vite.
On ne sait pas s’il y a eu d’autres expérimentations et il serait intéressant de les connaître et de les analyser. Il est vraisemblable que ce furent des échecs et certainement pour les mêmes raison que l’expérience finlandaise.
1.4.6 Revenu universel : les prémices du succès
Il existe déjà des revenus non liés à l’activité et ils sont même devenus de plus en plus importants avec le temps et ceci dans un laps de temps relativement court, si on considère l’ancienneté de l’humanité (les plus anciens fossiles d’homo sapiens remontent à 300 000 ans et la période dite historique date d’environ 6 000 ans).
En effet jusqu’au milieu du XIXème siècle (ce qui fait environ 150 ans, soit seulement un 1/40ème de la période historique), les humains travaillaient tous et durement, sans d’ailleurs en vivre décemment. Ceux qui ne pouvaient travailler (plus souvent un accident ou une maladie car on mourrait assez jeune) ne devaient leur existence qu’à la solidarité familiale ou la charité.
Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXème siècle qu’ont commencé à exister des revenus de non-activité, d’abord indemnités professionnelles en cas d’accident, puis progressivement des retraites, de l’assurance-maladie, de l’indemnisation chômage.
Il y a donc de plus en plus de gens qui reçoivent un revenu qui n’est pas la contrepartie d’un travail. Surtout si on considère les 50% de rémunérations actuelles qui correspondent à des tâches inutiles ou nuisible !!!
Il n’y a aucune raison pour que cette augmentation des revenus de non-activité professionnelle, qui croissent même depuis 150 ans, s’interrompe subitement : la perspective d’une rémunération plus forte et plus générale de la non-activité professionnelle est plus que probable. On peut même rationnellement la juger certaine, du moins si la démocratie continue à exister.
1.4.7 Revenu universel : comment l’instaurer ?
Nous écartons d’abord l’idée d’une grande réforme de la fiscalité, car elle est extrêmement complexe, souvent brutale et avec des effets peu prévisibles (vu son extrême complexité, ses exceptions et contre-exceptions).
Verser seulement 600 € par mois (à peu près un demi-SMIC, ce qui est maigre) serait extrêmement violent pour les finances publiques, si on le fait sous forme d’un revenu universel. Et si c’est seulement réduit à quelques personnes, on ne peut plus parler de revenu universel, seulement d’une autre forme d’indemnisation de la non-activité. Beaucoup de turbulences et de risques pour des résultats très incertains et certainement un échec au bout, comme en Finlande.
L’idée que nous avons en tête serait une montée très progressive, disons sur une trentaine d’année, qui instaurerait progressivement le revenu universel tout en faisant disparaître progressivement les autres systèmes de revenus sociaux de non-activité : retraite de base, indemnités chômage, indemnités journalières de maladie…
Quelques petits calculs simples pour évaluer les ordres de grandeur monétaires. Supposons qu’on décide d’attribuer 40€/mois à chaque Français(e) quel que soit son âge. Vu la population (67 millions), cela fait 32 milliards d’€ soit environ 1,5% du PIB.
En prenant en compte, la disparition progressive des autres systèmes de revenus sociaux, on peut estimer qu’on récupérerait environ une bonne dizaine de milliards et que le coût réel serait plutôt de 20 milliard soit un peu moins de 0,9% du PIB (2 282 milliards en 2018).
Maintenant, mettons en relation ces chiffres avec d’autres pour apprécier l’ordre de grandeur :
– 0,9% du PIB ce n’est que le tiers du déficit budgétaire de la France
– 0,9% du PIB c’est entre les deux tiers et la moitié de la croissance du PIB Français (aux alentours de 1,4 à 1,8% par an, avec quelques exceptions en-dessous et très peu au-dessus)
– 20 milliards ce n’est que le double de ce que Emmanuel Macron a lâché aux gilets jaunes
– 20 milliards c’est à peu près le montant du CICE ou de la baisse des charges qui le remplace depuis 2019 (dont beaucoup d’économistes doutent de l’effet positif réel)
Tout ça pour dire que ces montants n’ont rien d’astronomiques et sont au contraire parfaitement supportables par notre économie, sans changement radical de quoi que ce soit, autrement dit totalement « indolore » comme on dit des bonnes réformes.
La croissance à elle seule pourra permettre d’encaisser ce revenu universel et même de conserver les cadeaux aux entreprises (CICE) et aux gilets jaunes, du moins temporairement car tout ce se raclera différemment par la suite..
Et encore, nous ne prenons que les coûts et pas les bénéfices attendus, à part la disparition progressive d’autres transferts sociaux que nous avons estimés à 10 milliards par an (si quelqu’un veut faire des calculs plus précis, il est le bienvenu).
Outre les bénéfices énormes mentionnés au paragraphe 2.4.4 de par la disparition progressive des tâches improductives et donc le renforcement de l’efficacité économique globale, on peut escompter d’autres effets de bord positifs :
– forte réduction de coûts de gestion des systèmes sociaux, du fait des simplifications que cela engendrera à terme (tout le monde étant destinataire, il n’y a plus besoin d’une armada de personnes pour vérifier qui y a droit). Les coûts actuels de gestion des systèmes sociaux doivent se chiffrer en milliards et même certainement en dizaines de milliards ; il serait d’ailleurs intéressant d’avoir une étude sur ce sujet pour la France et les autres grands pays européens.
– moindres tensions sociales et réduction des concessions du style des 10 milliards accordés suite au mouvement des gilets jaunes
– petit surcroît de croissance (c’est mécanique) et donc des recettes publiques
Pour conclure, instaurer un revenu réellement universel et simple (pas de calcul sur les âges et les seuils de revenus) :
– est tout-à-fait supportable pour notre économie si on l’étale sur une trentaine d’années
– donnera un potentiel de croissance considérable à notre productivité et donc à notre compétitivité
– produira un mieux-être sociétal global sans aucune douleur en contre-partie
– sera totalement pilotable dans le cadre des budgets annuels
Il suffit simplement d’une loi-cadre à caractère constitutionnel sanctionnée par un référendum, indiquant par exemple que chaque année on dédie au minimum 50% de la croissance du PIB pour augmenter d’autant le revenu universel. Étant de caractère constitutionnel (laissons au juristes trouver la bonne formulation), elle s’imposera à tous les gouvernements successifs.
Et pour être certain qu’un démagogue, un imbécile ou un incapable qui arriverait au pouvoir (ne riez pas, cela arrive dans d’autres pays pourtant très démocratiques), il serait mentionné que cette loi n’est réformable à la baisse que par un référendum auquel participerait au moins x% des électeurs.
Là encore, laissons aux juristes constitutionnels expliquer comment cela se rédige, soit dans le cadre de cette constitution soit dans le cadre d’une constitution révisée, au cas où ils reviendraient avec leur sempiternel « c’est pas possible ».
Au rythme de + 40€/mois chaque année, on voit qu’on aboutit à un revenu de 2 000 € par individu au bout de 50 ans ce qui correspond au salaire médian actuel. C’est donc bien une perspective de long terme qui laissera le temps d’une transition douce et sans heurts.
Remarque : si on considère tout ce qui a pu être dépensé pendant la crise de la covid, comme dépenses actives d’accompagnement ou comme perte de recette fiscale (on entend des chiffres supérieurs à 100 milliard d’€), on peut penser que l’hypothèse prudente formulée ci-dessus, à savoir +20 milliards par an pourrait être largement dépassé.
Si on poussait jusqu’à +50 milliards par an (soit la moitié de la crise covid), cela équivaudrait à +100€/mois/citoyen chaque année, soit un revenu de 2 000€/mois à un horizon d’environ 20ans.
On peut craindre que ce soit un peu trop rapide pour les esprits et donc pour la société ; retenons donc plutôt 30-40 ans, en fonction de la capacité de l’économie à encaisser les changements.
1.4.8 Revenu universel : à qui appliquer ?
Avoir démontré que c’est parfaitement supportable sous l’angle économique, budgétaire, financier, sociétal, humain,… ne répond néanmoins pas à toutes les questions, la principale étant : qui aura droit au revenu universel ?
Tous les nationaux, c’est sûr, et on a vu comment cela fonctionnerait.
Pour les non-nationaux qui sont citoyens d’un autre pays de la communauté européenne, on pourrait dire tout simplement qu’ils suivent les règles de leur pays, la France en facilitant l’application sur son territoire. Ce sera une bonne occasion d’arrêter de faire croire qu’elle veut imposer son modèle, autrement que par l’exemplarité. En effet, si ce système fonctionne (et nous en sommes persuadés), il est complètement inutile de chercher à convaincre les autres européens de l’adopter, avant de s’y lancer nous-mêmes. Ils ne sont pas stupides et s’il voient que ça marche en France, ils l’adopteront certainement. Et s’ils ne l’adoptent pas, c’est leur problème pas le nôtre.
Bien sûr, se pose la question des distorsions de concurrence entre systèmes sociaux. eutopéens C’est malheureusement déjà le cas actuellement et ce n’est donc pas une difficulté liée à l’instauration d’un revenu universel.
Revenu universel en France ou non, il faudra nécessairement prévoir une convergence des normes sociales européennes et sur un délai pas trop éloigné si on veut cesser le délitement de l’Europe. Dans l’attente de cette convergence sociale, on pourrait instaurer une TVA sociale qui allègerait le coût du travail pour les produits exportés tout en faisant contribuer les importations (les mécanismes européens de paiement/remboursement des TVA intra-communautaires existent déjà)
Ce sera aussi l’occasion de tordre le cou à la distorsion d’imposition en fonction du lieu de résidence, en mettant en place une règle toute simple : en matière de taxation du capital comme des revenus, chaque citoyen se verra appliquer les règles du pays européen dont il a la nationalité, quelle que soit son lieu de résidence et sa nature (définitive, temporaire, partielle).
Le cas des étrangers non communautaires est un peu plus complexe, car le système social de leur pays d’appartenance peut être moins développé que celui de l’Europe (puisque on suppose que ceux des différents états européens).
Disons que l’Europe devra s’intéresser à leur sort et établir des conventions avec leurs pays d’appartenance pour qu’ils ne constituent pas des poches de pauvreté au sein de nos territoires. Là encore trois cas différents :
– soit le pays a à peu près le même niveau de protection sociale et on applique les règles de leur pays sans que cela cause de distorsions particulières
– soit le pays est un peu moins généreux et l’Europe devra assurer une forme de compensation à étudier avec le pays d’origine sous forme d’accords bilatéraux qui incluent des droits au retour de leurs nationaux qui le désirent, des droits de douane pour les produits importés afin de financer la politique sociale européenne pour leurs ressortissants ou pris sur une ligne budgétaire d’aide au développement déjà en place à l’égard de ces pays
– soit le pays n’est pas du tout généreux ou ne veut pas établir d’accord, et là il reste un vrai problème à résoudre au niveau européen. Espérons que sa politique extérieure sera suffisant forte pour que ce nombre reste marginal et que cela n’impacte pas trop ses finances.
Là encore, il s’agit essentiellement des problèmes de maîtrise de l’immigration économique qui ne doit plus être confondue avec l’immigration « politique » en provenance des pays en guerre. C’est un problème déjà actuel qui ne sera pas aggravé par la mise en place du revenu universel, puisque, par construction, celui-ci ne s’appliquera qu’aux nationaux, afin de ne pas créer un « appel d’air ».
Pour les binationaux, la solution pourrait être de définir la notion de nationalité « active » qui s’appliquerait pour tous les mécanismes de droits et de revenus : l’autre nationalité, dite « de réserve », ne serait que la mémorisation d’une autre nationalité, qui pourrait être plus facilement réactivée, là encore en fonction d’accords bipartite entre l’Europe et les pays concernés. Chaque citoyen possédant la double nationalité serait donc invité à faire un choix d’élection fiscale et sociale entre ses deux nationalités, avec les droits et obligations que cela induit.
Nota : il ne faudra pas que les changements ultérieurs de nationalité soient l’occasion de fraudes sociales ou fiscales. Cela signifie encore d’établir des règles de compensation entre pays européens ou de signer des accords avec les pays extra-européens. Ou bien d’appliquer une progressivité de mise en place d’une vingtaine d’année pour chaque demandeur (+100€/mois chaque année)
Enfin, ce sera aussi l’occasion de tordre le cou à la distorsion d’impositions en fonction du lieu de résidence, en mettant en place une règle toute simple : en matière de taxation du capital comme des revenus, chaque citoyen se verra appliquer les règles du pays européen dont il a la nationalité, quelle que soit son lieu de résidence et sa nature (définitive, temporaire, partielle).
Et ne nous laissons pas expliquer que c’est impossible : beaucoup d’états refusent la double nationalité et considèrent que leurs concitoyens doivent des impôts chez eux même s’ils résident à l’étranger.
1.4.9 Revenu universel : les autres difficultés à résoudre
Nous n’avons ici fixé que quelques pistes et ne prétendons avoir tout réglé dans tous les détails. Cela se fera tranquillement sur des décennies par des milliers/millions d’acteurs à tous les niveaux de l’administration publique et privée, sous le pilotage des politiques.
La réforme par un revenu réellement universel qui monterait en puissance sur une trentaine/cinquantaine d’année est simple (en tout cas notablement plus que certaines réformes complexes de moindre effet) et indolore sous divers angles : budgétaires, financiers, monétaires, économiques, sociaux, humains, …
De plus, on peut en escompter des bénéfices de productivité considérables (on rappelle que l’enjeu c’est la disparition de 50% de tâches improductives ou nuisibles).
On arrivera bien à résoudre les innombrables petites difficultés que l’on découvrira dans la mise en application. il n’est d’ailleurs pas prévu de supprimer les fonctionnaires et les politiques ; nous souhaitons simplement qu’ils soient occupés à des grands chantiers de réforme positive tels que celui-ci, plutôt que de gaspiller tout leur temps – plus des moyens financiers considérables – sur des projets mineurs !!!
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