Deux raisons principales à cela

  • une fondamentale : tout être humain doit avoir voix au chapitre, quel que soit le domaine, puisque tout le concerne plus ou moins directement
  • une technique : les experts et sachants sont souvent prisonniers d’habitudes de pensée, ce qui leur interdit d’envisager certaines possibilités, les enferment parfois dans l’erreur

L’enrichissement réciproque entre le « non-sachant » et le sachant

  • Comment le non-sachant enrichit-il le sachant ? Tout simplement en posant des questions et en formulant des objections, sans jamais craindre que celles-ci soit idiotes ou absurdes.

L’expert y répond alors via des explications réelles et même « scientifiques », sans présupposer que son interlocuteur n’est pas apte à comprendre. Ce n’est que s’il s’avère que ces réponses sont inaccessibles à l’entendement de son interlocuteur, qu’il peut alors avoir recours à des analogies plus accessibles, mais en gardant une image correcte de la réalité.

A l’objection classique « c’est trop technique pour mon interlocuteur, il ne comprendra pas », nous répondrons qu’il est lui-même non-sachant sur de nombreux sujets et que cela ne l’empêche pas de chercher à comprendre : il sait donc ce que c’est que de s’interroger même quand on ne possède pas le « bagage de connaissances » suffisant pour une compréhension parfaite.

Dans ce travail de vulgarisation, le sachant est confronté à des questions ou des incompréhensions surprenantes qui l’interrogent sur son savoir et ses certitudes. En se forçant à rendre ses théories intelligibles au non-sachant, il accède à une dimension supplémentaire de sa propre compréhension du sujet, ce qui peut l’amener à réviser sa position et améliorer son expertise sur le sujet.

Bien sûr tout le monde n’est pas Galilée, Newton, Pasteur ou Einstein, mais le progrès humain n’est pas que le fait de grandes découvertes : il est aussi le fait de petits progrès individuels qui diffusent dans la société. Chacun, incompétent, sachant ou expert, améliorant sa propre compréhension sur tous les sujets, contraint les autres à faire de même et provoque ainsi un progrès involutif de la connaissance générale.

  • Mais ceci n’est possible que si le non-sachant est réellement à l’écoute du sachant.

Un des pièges de la pensée et de la discussion est d’ordre psychologique. Si le non-sachant croit sentir que le sachant lui ment, il va d’abord contester sa parole, puis ses théories et, au final, il se forgera un système de pensée subjectif, souvent anti-scientifique.

Éventuellement, il en fera profiter d’autres, qui, à leur tour, adopteront ces thèses qu’on pourra qualifier de complotistes, puisqu’elles présupposent que l’autre ment sciemment pour des bénéfices obscurs (ou qu’il est abusé par ceux qui lui mentent sciemment). A ce moment, l’affaire est mal engagée car plus on essaiera de démonter la thèse complotiste, plus on sera accusé de défendre des mensonges, soit par intérêt personnel, soit par naïveté.

La seule façon de s’en sortir est de rester dans le réel, la démonstration, la logique, et ce sans aucune concession à des thèses erronées, afin de prouver qu’on ne ment pas (et que les autres ne mentent pas). Recourir à des thèses erronées pour « se simplifier la vie » finit toujours par se retourner contre la démonstration puisqu’il y aura nécessairement une faille qui disqualifiera toute argumentation ultérieure.

Sauf cas pathologique, le non-sachant finira par se ranger aux arguments de réalité et de bon sens. Si ce n’est dans l’instant, il sera au moins déstabilisé dans ses fantasmes et les abandonnera une autre fois, via des interlocuteurs qui sauront mieux expliquer ou trouver d’autres arguments.

Voilà pour le non-sachant.

  • Il faut également que le sachant soit dans l’écoute réelle du non-sachant… même si les questions/objections apparaissent surprenantes ou déroutantes : le non-sachant s’exprime avec ses connaissances du domaine, lesquelles peuvent être assez faibles.

Combien de fois avons-nous rencontré des sachants qui, interrogés sur leur absence de réaction face à des erreurs manifestes, ont répliqué ne pas les combattre parce que cela ne servait à rien.

Cela peut témoigner d’une simple paresse (« les autres objecteront, moi ça me fatigue »), d’un manque d’assurance à comprendre les autres (angoisse) ou même d’un « complotisme inversé » (les non-sachants se ligueraient contre les sachants). Nous traiterons seulement des deux premières catégories, car le complotisme relève du pathologique et nous ne sommes pas psy (d’autant plus pathologique, de la part du sachant, qu’il a théoriquement les moyens intellectuels, la connaissance et l’information qui devraient permettre d’y résister).

Vis-à-vis des sachants « paresseux », il suffira de remarquer que se défausser sur d’autres pour lutter contre la désinformation, ne peut que conduire à les disqualifier pour paresse, voire pour incompétence, puisque l’absence de réaction est souvent une marque d’incompétence. Dans les deux cas, ils feront la démonstration qu’il ne méritent pas leur position supérieure.

Plus complexe est le cas des « angoissés », qui éprouvent des difficultés à échanger en situation de contradiction. Si l’erreur du non-sachant provient d’un simple défaut d’information, c’est assez facile à déceler et corriger ; mais si la cause est un défaut de logique, il lui faudra « rentrer dans la tête de l’interlocuteur » pour voir à quel endroit son raisonnement pèche, ce qui est complexe et potentiellement conflictuel.

Étant lui-même incompétent (ou peu compétent) dans de nombreux domaines, le sachant est en capacité de comprendre la disposition d’esprit de son interlocuteur : lui-même apprécie qu’un plus compétent complète son information, corrige une information erronée ou repère une éventuelle erreur de logique. Il lui suffit donc d’agir pareillement à l’égard des « moins-sachants » : ceux-ci devraient normalement lui en être reconnaissants, pour autant qu’il le fasse avec bienveillance et non pour « écraser de son savoir ».

  • Une règle : quand on ne sait pas expliquer, ce n’est pas de la faute de l’interlocuteur, mais de soi-même.

Lorsqu’on a éliminé les deux causes ci-dessus (paresse et angoisse), la dernière des causes possibles est tout simplement une maîtrise insuffisante du sujet, laquelle empêche de trouver des raisonnements simples et des images parlantes. Se défausser sur une faiblesse intellectuelle de son interlocuteur ou une volonté délibérée de ne pas comprendre, est une solution de facilité à écarter, du moins en première intention.

Approfondir la réflexion ou rechercher des informations complémentaires afin de convaincre, fera accéder à une meilleure compréhension du sujet… et peut-être même à des découvertes !

Pourquoi affirmer que c’est même un devoir ?

  • Du côté du sachant, c’est un devoir social

La plupart des sachants sont des gens qui ont eu de la chance dans leur jeunesse et il est donc moral qu’ils partagent en direction de ceux qui n’ont pas eu cette chance.

La crainte pourrait être de se faire « pirater » son savoir par un interlocuteur qui voudrait en tirer indûment un profit personnel. C’est extrèmement peu probable, car l’expertise est le résultat d’une longue sédimentation d’informations auprès d’autres sachants, de réflexions personnelles et d’expériences.

Pour ces raisons, les vrais sachants ne craignent pas d’expliquer et de débattre. Ceux qui font mystère de leur « savoir » ne sont généralement que des incompétents, des tartuffes ou des truands.

  • Du côté du non-sachant, c’est un devoir sociétal

D’abord, nous l’avons vu, le non-sachant « enrichit » le sachant de son incompétence, puisqu’elle l’amène souvent à approfondir ses connaissances et sa compréhension d’ensemble, peut-être même à faire des découvertes.

Au-delà de cet aspect individuel, le non-sachant se doit aussi de défendre le droit de tous à l’information complète et objective. C’est une condition essentielle de la démocratie et les élites ne sont pas toujours disposées au dialogue. Le prétexte éventuel du manque de temps n’est pas crédible, vu tout le temps gaspillé en réunions peu utiles, sans objet ou mal conduites, voire en pures actions de communication.

Pensant qu’il est inutile – et même nuisible – de chercher à convaincre, certains adoptent le « never explain, never complain » de la reine Victoria. Si le never complain (ne vous plaignez jamais) est légitime, car comment se plaindre quand on est dans une position globalement privilégiée, en revanche le never explain (n’expliquez jamais) marque la volonté de conserver l’ascendant sur l’interlocuteur en le sous-informant : toutes les élites ne sont pas dans cet état d’esprit, mais c’est une attitude assez standard dans les sphères de pouvoir.

Pour ceux qui verraient du « complotisme » dans cette affirmation, un complot est une action conjointe, consciente et avec un but. Nous n’affirmons pas qu’il y aurait des « tireurs de ficelles » tapis dans l’ombre, mais que :

– il existe des paresseux dans toutes les classes sociales

– c’est également vrai pour les craintifs et les angoissés

– et surtout, les gens de pouvoir font souvent tout leur possible pour le conserver

Rien de complotiste dans ces affirmations, uniquement des constats de bon sens.

En retour, le peuple serait moins tenté par les populistes, si les gouvernants et les médias s’intéressaient mieux à lui. « Mieux » pas « plus », car la masse de « propos de comptoir » qui envahit les ondes, démontre que ce n’est pas le problème de la quantité d’informations délivrées mais celui de la qualité informationnelle des contenus.

Quand les gens de pouvoir comprendront qu’il est moins fatigant pour eux – et moins risqué pour la considération qu’on leur porte – de répondre et d’expliquer jusqu’à être parfaitement compris, ils cesseront leurs comportement de condescendance, de secret ou de simple paresse, car ils verront que ces stratégies ne fonctionnent plus.

Contre le complotisme, le dialogue

Le vrai complotisme est la manifestation d’une espèce de paranoïa, donc difficile à contrer. Mais il est relativement rare.

Souvent on nomme complotisme ce qui est une simple contestation d’un discours souvent flou, mal documenté ou sans démonstration rationnelle. Qualifier de complotisme toute contestation qui dérange est devenu une facilité de langage utilisée par ceux qui veulent museler le débat (never explain).

Cet anathème, souvent sans rime ni raison, a pour effet de bloquer tout échange et enferme chaque partie dans ses propres erreurs : comment débattre et rechercher le vrai si, d’entrée de jeu, sur le simple énoncé d’une idée qui dérange, votre interlocuteur vous cloue au pilori du complotisme ?

Il faut donc se faire un devoir de tout entendre, de comprendre ce qui se cache derrière ce qu’on pense être une erreur, expliquer, donner des exemples,… et ne décrocher que quand visiblement l’interlocuteur n’est pas dans une attitude d’écoute et de dialogue.

Promouvoir le dialogue nécessite de mobiliser tous les moyens : la raison, le charme, l’insistance, et surtout l’exigence politique. Il reste encore les élections et si, parmi les critères de choix, les électeurs privilégiaient un vrai dialogue et de vraies propositions, à la fois ambitieuses et réalistes, nombre de bonimenteurs hauts placés seraient contraints à faire plus d’efforts, notamment en matière d’explication logique et rationnelle de ce qu’ils avancent.

Exigeons de comprendre, donnons notre avis, puisque notre propre compréhension et nos avis – même imparfaits – aideront la compréhension des autres, feront progresser la connaissance générale, rendront la démocratie plus efficace et, au final, serviront le progrès technique et humain.

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